1919-1933: Bauhaus
1937-1944: Le New Bauhaus
1880-1910: Mouvements Arts and Crafts, Glasgow Style et Sécession viennoise
1921: L'exposition Salon Dada ouvre à la Galerie Montaigne à Paris
1885-1918: Francis Henry Newbery dirige la Glasgow School of Art
Les premiers témoignages de l’histoire de Raoul Reynolds remontent au début des années 2000, lorsque Henry Reynolds, petit-fils du frère de Raoul, hérite d’une maison de famille dans le Vermont – un cottage dans la forêt dominant la surface, grise et scintillante, du Lake Whitingham. Cette demeure isolée était encombrée d’excentriques assemblages de matériaux recyclés qui contrastaient avec des objets raffinés d’inspiration Art Nouveau ou Art Déco ; et nombre photographies, esquisses, céramiques, sculptures en bois et pellicules de film, résistant à leur manière à l’humidité de la maison. Aidé par un groupe d’historiens de l’art européens et américains, d’histoires de familles et d’amis, de correspondances et recherches dans les archives, Henry put reconstruire les grandes lignes de l’histoire de son grand-oncle, et repositionner dans l’échelle du temps les objets de sa découverte. 
1940-1945: Churchill crée le  
Special Operations Executive (SOE)
1924: André Breton publie le Manifeste du Surréalisme
1882-1971: Glasgow Society of Lady Artists
1925: Exposition internationale d’arts décoratifs et industriels modernes
1897-1909: Charles Rennie Mackintosh construit
                             la Glasgow School of Art
Années 1960: Minimalisme
1933-1957: The Black Mountain College
1880                                                           1890                                                           1900                                                           1910                                                           1920                                                           1930                                                           1940                                                            1950                                                           1960                                                            1970
C’est donc tout naturellement qu’en 1897 Raoul s’inscrit aux cours de Design et d’Arts Décoratifs à la Glasgow School of Art, et rejoint le mouvement du Glasgow Style. Il ne reste aucune œuvre ou objet qui puisse témoigner de la période d’études de Reynolds, mais un document trouvé dans les archives de l’école et datant de 1900 mentionne « le vertueux accomplissement d’un vitrail, où des figures stylisées d’inspiration japonaise s’entrecroisent avec des motifs organiques, fleurs et feuilles, gaiement et harmonieusement colorés ».  
En dehors de son travail artistique, on raconte que Raoul, adolescent, est un enthousiaste de la boxe. Ce sport reste illégal dans l’Angleterre du 19ème siècle, mais il commence probablement à le pratiquer à cette époque.  

La première œuvre connue de Reynolds est Without Real Work There is No Real Leisure, un panneau décoratif créé en 1903 peu après la mort soudaine d’Henriette. Cet objet est un hommage à cette femme émancipée et féministe avant l’heure, qui imprimait ses propres tissus avec des motifs naturels et géométriques, et interroge la question du genre et la place des femmes dans l’art à la fin du XIXème siècle. Raoul a tendu le dernier tissu créé par sa mère sur une structure en bois et a fabriqué ce paravent dont les motifs imprimés et la police utilisée pour la phrase inscrite sur le dos des panneaux en font un objet tout à fait Glasgow Style.  
 
Entre 1905 et 1910, Joshua et Raoul embarquent dans une série de longs voyages d’affaires en Asie, Amérique du Sud et aux Etats Unis. Joshua, en effet, voulait introduire son fils aux affaires de sa société. Ces voyages sont pour lui l’opportunité de se former à la diplomatie commerciale et aux relations internationales, et de rencontrer des hommes d’affaires et politiques internationaux. Des notes manuscrites et des esquisses de cette période, néanmoins, reportent de l’enthousiasme du jeune Reynolds pour les philosophies et objets rituels de ces pays, et d’un intérêt grandissant pour l’ethnologie. 

En 1911 Raoul est à Paris, où il rencontre Constantin Brancusi, André Mare et Marcel Duchamp, des artistes qui vont l’inspirer tout au long de sa carrière. Dans la capitale française, il fait aussi la connaissance de Serge Diaghilev, l’imprésario qui, en 1909, avait fondé les Ballets Russes, une compagnie qui révolutionnera l’art de la danse au XXème siècle. Reynolds, comme d’autres artistes plastiques de l’époque, tels que Picasso, collabore avec la compagnie et créé les décors pour les spectacles. Le seul fragment qui a survécu est Column 2, une colonne creuse dont la forme des éléments qui la composent s’inspire des vases Arts and Craft. 
En 1912, de retour à Glasgow, Raoul reprend la société de construction navale avec son père. Il continue toutefois son activité et produit des sculptures inspirées par Brancusi ou Henry Moore, qui ne sont malheureusement pas parvenues jusqu’à nous.  

Il n’a pas été possible jusqu’ici de reconstituer les activités de Reynolds pendant la Première guerre mondiale; aucun document ou correspondance n’a été retrouvé. On a raison de croire qu’il travaillait pour les services de renseignement britanniques – à cause de ses ultérieures collaborations – et qu’il aurait pu se trouver sur le front de l’Ouest où il rencontre Oskar Schlemmer. Ce dernier en effet, à cette période, travaille au service cartographique de Colmar, et à la fin de la guerre, les deux hommes commencent une intense correspondance épistolaire, qu’ils entretiennent pendant plusieurs années et où ils évoquent leurs idées communes afin de surmonter la séparation entre l’art et l’artisanat.  
  
A la suite de la mort de Joshua pendant la guerre, Raoul vend la société et s’installe à Paris. Il y vit une vie de bohème, rencontre les artistes dans les cafés et s’engage dans des discussions sans fin sur la nature et la philosophie de l’art. Mais les raisons de son installation à Paris ne sont probablement pas uniquement de nature artistique. En effet, une série de documents noircis avec des minutieuses informations sur des politiques et hommes d’affaires allemands et français nous suggère que sa pratique artistique était probablement une couverture pour des activités d’espionnage. 

Les conversations passionnées entretenues avec Schlemmer amènent ce dernier à inviter Reynolds à tenir au Bauhaus, entre 1925 et 1930, une série de conférences sur le Glasgow Style. C’est probablement suite aux échanges avec les professeurs de la célèbre école allemande que Reynolds crée Take the Chair et The Spill. Ces pièces font partie d’une série d’objets qui reprennent les formes géométriques et les théories sur les couleurs primaires chères au Bauhaus. Reynolds recouvre les objets de motifs en losange et les pose sur des socles, remettant en question la différence entre œuvre d’art et objet d’artisanat. Ces objets de la vie quotidienne, posés sur des socles qui s’apparentent plus à des décors de théâtre qu’à des piédestaux, sont aussi probablement un clin d’œil aux « ready-mades rectifiés » de Marcel Duchamp.  

En effet, à la fin des années 1920, Reynolds se rapproche de Dada et du Surréalisme, comme témoignent Untitled Film et Objects from Untitled Film (c.1928-30). Untitled Film est la seule vidéo à nous être parvenue des expérimentations de Raoul avec ce médium. Malheureusement, la pellicule a été fortement endommagée, seuls subsistent quelques fragments qui montrent des scènes d’une cérémonie fantasmagorique ou d’une activité rituelle. Vidéo expérimentale, elle s’inspire probablement des rituels des cultures que Reynolds avait observés au cours de ses voyages avec son père. Les objets utilisés dans la vidéo, qui ont été ici rassemblés sur la base de croquis retrouvés, montrent le passage graduel entre les formes du Bauhaus et celles du Surréalisme.  
 
Dans les années 1930, suite à la fin des Années folles, marquée par la grande dépression, et déçu par la fermeture du Bauhaus par les nazis, Raoul embrasse définitivement le Surréalisme. Apparaissent à cette période les figures de l’araignée – symbole de l’énergie féminine, de créativité et protection, très probablement un tribut à sa mère – et de la pieuvre – dont le symbolisme est associé au mystère. Tout comme ces symboles, les cages à homard utilisées pour Blue Blood #1 et Blue Blood #2 démontrent un intérêt grandissant pour le monde naturel. Les dimensions de l’occulte, de l’étrange et de l’onirique sont travaillées dans l’association d’objets, dans la création de formes extravagantes, dans l’utilisation de matériaux bruts. Œuvre emblématique, L'ascension du haut mal: Dante let it bring you down!, superpose dans les huit cadres de sa structure une série de symboles qui relient l’imaginaire de Raoul au voyage de Dante dans les cercles de l’Enfer, tout en tissant des références avec l’œuvre de Duchamp et la poésie d’Henri Michaux. 

En 1938 Reynolds est invité par Suzanne Ramié, qui avait ouvert à Vallauris un fameux atelier de céramique nommé Madoura, à la rejoindre et expérimenter avec ce matériau. C’était l’occasion pour l’artiste de s’échapper de l’atmosphère oppressante de la ville et des terribles actualités annonçant une nouvelle guerre, et de diriger son énergie créative à travers ses mains dans la création de poteries. Depuis son enfance, Raoul avait appris à canaliser ses sentiments négatifs dans le contrôle du geste et une certaine discipline perfectionnée avec la boxe : « A Vallauris, je me suis temporairement détaché de ces affreux présages. Ma nature métisse ne pouvait supporter la haine raciale et les guerres civiles… L’argile était un matériau doux, malléable… Soudainement, j’étais en train de libérer ma rage et ma peur en boxant avec l’argile, jusqu’à l’épuisement. » [Note manuscrite, non datée, revenant sur la genèse de l’œuvre Une réalité rugueuse à étreindre].  
 
A la fin de 1940, plusieurs artistes Surréalistes comme André Breton, Max Ernst, André Masson ou Wifredo Lam ayant fui l’occupation allemande du nord de la France, se réfugient à Marseille à la Villa Air-Bel en attendant le visa pour pouvoir embarquer pour les Etats-Unis. Raoul les rejoint et le groupe prend l’habitude de se réunir régulièrement sur le port, au café « Aux brûleurs de loups ». Ensemble ils produisent nombreux cadavres exquis et redessinent le fameux jeu de tarots marseillais.  
En mars 1941, les Surréalistes embarquent finalement pour les Etats-Unis, alors que Reynolds s’enrôle dans le Special Operations Executive. A l’âge de soixante ans, sa contribution à l’organisation se concentre sur l’espionnage industriel. Les allemands avaient inventé un matériau innovant combinant résine et fibre de verre ; Raoul, avec d’autres agents de l’intelligence britannique en volent les secrets pour les revendre aux sociétés américaines. De par sa légèreté et résistance, ce matériau a été depuis utilisé dans l’aéronautique ou la construction navale. Percé à jour il est recherché par les allemands, Raoul s’exile alors aux Etats Unis.  
 
En 1943, Reynolds s’installe dans une cabane isolée près de Whitingham au Vermont. La solitude et les activités quotidiennes agissent sur sa personnalité, et il se lie intimement avec cette nature pure qui embrasse sa vie et soutient sa survie. Ici, il est un forestier, un chasseur, un pêcheur. La quiétude de sa vie n’est pourtant qu’une façade – sa survie est un acte violent dirigé contre lui-même et la nature. Les œuvres de cette période sont imprégnées par sa nouvelle existence : marques de coups de hache, scies (Turquoise boy), manches de hache, sculptures fabriquées avec des objets trouvés, du métal et du bois. Aménageant son quotidien dans la peur d’être découvert, il déguise sa cabane selon les principes de camouflage inspirés par les formes cubistes et développés pendant la première guerre mondiale par son ami André Mare. Si la cabane a été détruite depuis, l’œuvre Birth By the Feet fait écho à cette période et aux principes du camouflage. Pendant cette retraite il s’adonne à une pratique plus intime, souvent en se tournant vers la mythologie pour y puiser son inspiration. Tan by Time est une œuvre qui se réfère au passage du temps dans la nature et au souvenir. Raoul, se souvient de sa vie, de son pays d’origine, l’Ecosse, de l’intensité de la lumière dans l’été marseillais. Cette peau, tannée par le soleil et tendue sur son rack, représente le passage du temps. 

A la fin de la guerre, libéré de la solitude de l’exile, Reynolds construit une maison aux environs de la cabane, et renoue avec la communauté artistique. Il est invité à tenir des conférences au Black Mountain College et à l’Institute of Design de Chicago qui était alors dirigé par László Moholy-Nagy. Lorsqu’il enseignait au Bauhaus, ce dernier avait expérimenté la technique des photogrammes, des images photographiques obtenues sans utiliser un appareil, mais simplement en plaçant des objets sur du papier photographique, et donc photosensible, et en l’exposant ensuite directement à la lumière. A la mort de Moholy-Nagy en 1946, Reynolds lui rend hommage en produisant la série de photogrammes Off the Grid. Ceux-ci sont une référence aux tissus écossais, mais reprennent aussi la structure en grille urbaine de villes telles que New York et des architectures modernistes de Frank Lloyd Wright ou le Corbusier.  
En renouant avec ces écoles qui avaient comme vocation de poursuivre les missions du Bauhaus, et donc de renouveler l’union entre art, technologie et design, Reynolds introduit dans sa pratique des matériaux issus de l’industrie, tels que la résine et le plexiglas. Un hommage à Mackintosh et au Glasgow Style, mais aussi à la nature qui l’a protégé au cours de son exil, Raoul crée Ceci n’est pas un arbre, mi-objet mi-sculpture, où des moulages de feuilles en résine sont disposés dans une structure en bois, d’une façon qui rappelle la forme des lustres du XIXème siècle.  
 
Pendant les années 1950, Reynolds, tout en gardant sa maison dans le Vermont, dans laquelle il se retire les mois d’été, s’installe à New York. Les architectures Art Déco des années 1920, telles que l’Empire State Building, lui rappellent l’insouciance des Années folles. Il produit donc un deuxième paravent, Take the Path You Haven't Taken Before, qu’il décore de motifs géométriques de l’époque et qu’il enduit de cire turquoise. Œuvre majeure, cette pièce annonce le mélange de styles propre au postmodernisme, qui se développera dans les années 1970.  

Pendant les dernières années de sa vie, Raoul embrasse le tout dernier courant artistique, le Minimalisme, mais il s’oppose à son abstraction pure pour lui associer des références et des symboles qui relient ces dernières œuvres à ses pièces et relations passées. Ainsi, It used to be a cube déstructure la forme du cube pour l’ouvrir à celle du paravent. Alors que les tissus en tartan pris dans la résine font écho à Off the Grid, ils sont marqués par des symboles surréalistes. Sulfur-lemon Teardrop, Mutual Distance (Litmus), Son absence m’efface du monde et Mes creux sauvent tes pleins pourraient évoquer ces sculptures perdues inspirées par Brancusi et Henry Moore que Raoul avait produit en 1912. Bien que les formes s’inspirent de la sculpture abstraite du début du XXème siècle, l’artiste utilise des matériaux comme l’acrylique ou l’aluminium qui les rendent résolument contemporaines.  

Enfin, l’actualité liée à la deuxième vague du féminisme porte Raoul à réaliser Relation of Incidents et In the Shadow. Ces structures géométriques en acier inoxydable supportent des plaques de plexiglas sur lesquelles des images ont été sérigraphiées. Ces images se réfèrent à l’histoire du féminisme et à la place de la femme dans l’art et rendent un dernier hommage à la mère-artiste qui avait toujours encouragé ses talents de créateur. Quelques semaines après la production de ces œuvres, le 21 octobre 1969, Reynolds s’éteint paisiblement dans son sommeil dans son appartement new-yorkais.  

Chronologie compilée par Francesca Zappia
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